A l’heure de la coupe du monde de foot-ball, un autre match se joue à volets fermés entre l’UE et la Turquie pour l’adhésion de cette dernière. Le pays d’Ataturk ayant été reconnu officiellement candidat le 3 octobre dernier après des heures de négociation dramatiques.
Ce week-end a donné lieu à un conseil des ministres européens à Bruxelles pour discuter essentiellement du sort de la Constitution et de l’élargissement indéfini. Comme prévu, l’UE s’est donné un temps de réflexion supplémentaire ou plutôt une pause prolongée jusqu’à l’après 2007, année d’élections en France. Même si Giscard pense que l’UE est « sur la bonne voie », le texte passera très certainement à la moulinette et perdra son caractère constitutionnel – l’avait-il réellement d’ailleurs? – pour ne devenir finalement qu’un traité de plus. Toujours mieux que rien, mais qui ne répond toujours pas à la question : A quand une véritable Constitution?
Du courage! Les 25 ont également débattu de la capacité d’absorption, thème déjà abordé au Parlement Européen mais sans conséquences quand on sait que l’organe décisionnaire européen n’est pas le Parlement (la 1ère vraie Constitution lui donnera-t-elle enfin ce rôle législatif qui lui fait défaut?) mais le Conseil des ministres. Faut-il faire de cette capacité d’absorption un critère d’adhésion? La question mérite d’être posée si l’on veut garder un contrôle et une certaine cohérence de ce qu’il reste du projet européen.
Discussion entérrée aussitôt sec! Le chancelier autrichien qui dirigeait le sommet concluant d’une belle parole que les critères de Copenhague ainsi que cette capacité formaient « les deux faces d’une même pièce ». Seulement, les uns ont valeur de contrainte, l’autre de voeu pieux! Ce problème surtout « débattu » par l’Autriche et la France vise en particulier le cas turc. Jacques Chirac devant composer avec une France hostile. L’Autriche défendant encore à demi-mot l’idée d’un partenariat plutôt qu’une adhésion.
Puisque l’UE est incapable de définir un projet précis, elle se raccroche aux fameux petits « projets » et à la gestion courante, dont l’adhésion de la Turquie qui a validé de justesse le 1er des 35 chapitres (sur la science et la recherche) avant l’adhésion de plein droit. In extremis car Chypre a bien failli ne pas donner son accord. L’île exigeant une normalisation immédiate de ses rapports avec la Turquie. Pour rappel, Chypre est le seul pays de l’UE à ne pas avoir le droit d’emprunter les ports et les aéroports turcs. Au motif que la Turquie exige la reconnaissance de Chypre Nord, une enclave non officielle prise de force par l’armée turque en 1974 et jamais reconnue au niveau mondial. Pour cause…
Finalement, il y aura eu un « compromis » par communiqués interposés. Chypre et l’UE se montrent bienveillants à l’égard de la Turquie mais ne valideront pas l’adhésion pleine et entière avant que la situation soit normalisée, sans toutefois donner un délai. Il faut laisser le temps au temps… Quant à la Turquie, elle a réaffirmé le blocage de ses infrastructures aux Chypriotes tant que Chypre Nord ne sera pas reconnue, se disant prête à rompre les négociations. La Turquie a pourtant bien rédigé le protocole d’Ankara invitant les 10 nouveaux membres à rejoindre le marché unique déjà formé par l’UE-15 et la Turquie, mais avec un document annexe qui dit OK pour les 10, sauf Chypre!
Alors ce week-end, Bruxelles s’est enfin comportée en adulte! Elle a bousculé le géant d’Asie mineure. La Turquie a ralenti ses réformes, elle doit reconnaître Chypre, elle doit réduire l’influence de l’armée dans le fonctionnement de l’Etat, elle doit régler la cohabitation kurde… Toujours bienveillante, Bruxelles a tout de même omis le négationnisme du génocide arménien pour ne pas froisser le cousin Erdogan. Mais Jacques Chirac s’est montré ferme, sûrement l’oeil rivé sur l’opinion française.
La situation oscille entre le pathétique et le révoltant. L’UE n’a, à aucun moment, posé clairement ce problème de Chypre et voudrait maintenant imposer (sans date fixe) à la Turquie ce qu’elle aurait du poser comme un préalable le 3 octobre 2005.
Les Turcs peuvent bien rire. Ce sont eux les maîtres du jeu! Mais leurs préoccupations européennes, tout comme les nôtres d’ailleurs, s’étiolent de plus en plus.
A mesure que le gouvernement d’Erdogan, autrefois profondément anti-européen, soudainement très européen, étrangement un peu moins depuis quelques mois, connaît une baisse de popularité, ses déclarations prennent un virage plus nationaliste et pas toujours laïc en prévision d’élections en 2007. L’histoire est parfois singulière. Erdogan et Chirac, au parcours européen proche, disparaîtront-ils en même temps de leur scène nationale?
Tous les élargissements ont nourri d’âpres discussions au sein des Etats membres, mais jamais jusqu’au cas turc, un pays n’a autant soufflé le chaud et le froid avec la Commission. Les eurosceptiques peuvent se pavaner. L’Europe, une fois de plus, a été ridicule. Qui oserait aujourd’hui sauter comme un cabri à la seule évocation de ce mot de plus en plus banalisé?
UE 0? Le problème, c’est que ce sont des pays de l’Union, et pas l’Union en tant que telle, qui négocie. Le Parlement européen commet moins d’oublis que les chefs dEtat, par exemple.
J’ose aussi espérer qu’un tel match ne peut pas exister. Le destin de la Turquie est dans l’Union, pas de l’autre côté de la ligne du milieu. Ce n’est pas un match entre la Turquie et l’Union mais entre des visions différentes qui doivent se rejoindre, pour regarder dans la même direction…
Ce sont des pays qui « négocient » parce que l’Union fonctionne principalement sur les décisions du Conseil, donc sur les pays. De toute façon, les 25 ont tous dit oui à la Turquie, même si quelques-uns ont été muselés et malgré des réserves à géométrie variable. UE 0, car j’ai l’impression que, dans cette histoire, il est inconvenu de dire non aux Turcs et que c’est l’UE qui se plie en quatre pour la Turquie alors que c’est au candidat de faire des efforts, de négocier et de ne pas faire de chantage!
Il y a, malheureusement pour toi, un match entre les pro et les anti-Turquie dans l’UE. Le lobby financier et les pays antieuropéens ont remporté la première manche. En matière de délocalisation, rassure toi, nos visions sont sur la même longueur d’onde. En matière d’intégration politique, je doute que deux entités différentes terminent sur une position commune. Comme je doute d’un élargissement sans fin de l’UE…