Le mariage ne devait être qu’une simple formalité. Il y a un an, la Turquie, la République Turque de Chypre Nord et l’UE signaient un contrat prénuptial de 15 ans.
Quel bilan tirer après un an? On attendait un communiqué européen sévère à l’égard du géant d’Asie mineure. Pourquoi donc? A défaut de sévérité, l’UE a donc témoigné d’une certaine perplexité, reprochant à la Turquie notamment un manque de réformes. Pourquoi donc?
Comme si la vieille Europe ne regardait plus le grand frère turc avec les yeux qui brillent. L’UE serait-elle résignée à ne plus pouvoir/vouloir adhérer?
Certes, la Turquie peine à reconnaître un génocide arménien vieux d’un siècle. La France n’a toujours pas fait de mea culpa ni pour l’Algérie, ni pour la seconde guerre mondiale. Certes, il est interdit de dire de mal de son pays en Turquie au risque de finir en prison. Mais pourquoi la petite et vieille Europe devrait-elle trouver à y redire? Elle le savait bien lorsqu’elle a signé le traité d’Helsinki en 1999? Certes, quelques tortures subsistent ça et là en Turquie, mais personne n’est parfait en ce bas monde. Certes, la Turquie avait envahi de force le nord de l’île de Chypre, mais l’affaire est vieille de 32 ans. Plus de quoi fouetter un chat! Personne ne s’en souvient de toute façon. D’ailleurs, pourquoi aucun Etat ne reconnaît-il pas la partie turque de l’île comme toute ou partie officielle de l’île?
La Turquie ne comprend pas les réactions européennes et risque de ne plus vouloir de l’Europe, comme les sondages semblent l’indiquer. Le coup du podium de F1 en août dernier (cf. article Tout est bon dans le cochon) était pourtant un appel à l’aide de la Turquie. Pourquoi l’UE ne perçoit-elle pas cette souffrance?
Heureusement, l’UE, sous la houlette de sa présidence finlandaise, semble enfin prête à brader l’illégitime Chypre grecque pour peut-être enfin devenir le 3ème membre de l’Union Turque et pouvoir enfin appartenir à cette nouvelle communauté euroturque, elle-même préambule à une communauté eurasienne le jour où la Chine et l’Inde souhaiteront adhérer aux valeurs européennes (lesquelles d’ailleurs?), elle-même préambule à un gouvernement mondial où tout le monde pourra collaborer en harmonie sur la base de valeurs et d’objectifs communs (lesquels d’ailleurs?) issus d’Europe (ou pas), elle même préambule à un machin intergalactique fondé sur une vague idée de démocratie fondée on ne sait plus quand ni où. Quelque part en Europe?
La position mi-figue mi-raisin de l’Europe envers son modèle d’Asie mineure est étrange. Il est étrange de chercher des défauts à sa future mariée. Comme le souligne justement Olli Rehn, le Commissaire européen à l’élargissement: « nous pourrions nous demander pourquoi nous devrions subitement agir comme un taureau dans une boutique de porcelaines chinoises ».
L’Europe fait des caprices d’enfant. Elle ne peut pourtant pas regretter la domination de l’armée turque dans les affaires du pays et soutenir la laïcité turque garantie par cette même armée mise en place par Atatürk pour prévenir toute tentation religieuse.
Certaines mauvaises langues diront aussi que l’entrée de l’UE dans l’Union turque sera l’occasion pour les patrons européens de dégraisser le mammouth et de délocaliser une bonne partie des emplois vers le géant asiatique. Certes.
Heureusement, le Premier Ministre turc, Erdogan est au dessus de ces chicaneries stériles. Lui qui, il n’y a pas si longtemps, islamiste villiériste dans son discours, jurait contre l’Europe et l’Occident avant qu’il ne soit déclaré inéligible par l’armée turque, avant qu’il ne revienne sous une étiquette plus respectable d’extrêmiste islamiste modéré, ouvre désormais le coeur et la main à la vieille Europe. Pourquoi la France, l’Allemagne et d’autres pays européens refusent-ils cette main tendue en se cherchant des prétextes?
Le monde est devenu instable. L’ONU a échoué avec la deuxième guerre d’Irak. L’UE a bien compris les enjeux d’une Union euroturque comme première pierre d’un plus grand dessein. En laissant la porte ouverte aux négociations, elle laisse intact l’espoir de voir un jour une Union euro-turcasiaticafricaméricomondiale, dont la noble ambition ne serait rien de moins que de recréer une Société Des Nations adaptée au XXIème siècle.
Heureusement que nos 25 Commissaires ne se laissent pas embarquer par leurs opinions nationales!
Euh… Il me semble tout de même que Chirac a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans les déportations, non…?
Quant à la guerre d’Algérie, peut-on considérer de la même façon un génocide et des crimes de guerre?
Pierre, il ne s’agit pas de comparer telle « saloperie » à telle autre.
En l’occurrence, la France n’a fait aucun devoir de mémoire envers l’Algérie. Il aura fallu attendre le film Indigènes par exemple pour que l’Etat français augmente les retraites des soldats algériens qui se sont battus pour la France. Il faudra certainement encore un film pour que la France s’excuse des massacres perpétués en Algérie. Certes, on ne parle pas là de génocide, mais d’une faute suffisamment grave pour devoir demander pardon.
Fait intéressant: dans l’inconscient collectif français, « la dernière guerre » n’est pas celle d’Algérie mais la 2ème guerre mondiale. D’ailleurs, dans ce même inconscient, la France de 1940 est encore considérée comme toute blanche et l’Allemagne toute noire. Il serait bon de reconsidérer l’Histoire avec un peu plus d’humilité comme le font par exemple les Allemands depuis 60 ans.
Parenthèse refermée car le sujet reste la Turquie.
Je ne suis pas sur de comprendre tous les enjeux de ce post: la question turque est particulièrement complexe et je crois qu’elle nécessite de démeller un peu ses préjugés (ce à quoi je me suis un peu essayé dans une « opinion d’Europe » sur Nouvelle Europe).
La question la plus fondamentale dans issue de l’adhésion turque est « Quelle Europe voulons-nous ? » parce que je pense que l’Europe est bien plus celle de la « volonté » que celle de la « géographie ».
L’Union européenne a un certain intérêt à s’arrimer la Turquie de mon point de vue, mais pour quoi faire? Grand marché? Europe politique?
Beaucoup d’arguments dans les deux sens (civilisationnels, énergétiques, historiques etc.) C’est pour cela que je pense qu’on devrait à la fois demander aux Européens ce qu’ils veulent faire pour que les Turcs puissent comprendre à quoi ils s’engagent: l’Europe doit cesser d’être un bus qui fait monter des passagers en leur promettant de décider avec les autres de la destination !
Et ceci dit, pour avoir pas mal étudié la question turque sous différents aspects à la fac, si la Turquie veut aller dans le même sens que moi, je lui ouvre volontiers la porte pour peu qu’elle achète son ticket aux mêmes conditions que les autres !
L’enjeu de ce post est précisément de reposer la question centrale « quelle Europe voulons-nous? » avec quelles frontières, quel degré d’intégration politique, etc… Voulons nous d’une Europe politique intégrée ou d’une union bâtarde, mélange de marché unique et d’organisation mondialiste avec une vague idée d’Europe sous-jacente? Pour le ventre mou européen (hors marché unique), on a déjà le Conseil de l’Europe!
J’ai bien peur que ce billet ne soit pas un mix de préjugés. L’affaire de Chypre, le génocide arménien autant que d’autres « détails » que je mentionne dans ce billet sont malheureusement des faits concrets.
Nous atteignons le fossé ultime entre l’UE et ses citoyens. La Commission n’a pas l’air de s’en inquiéter outre mesure. Le non au TCE aurait dû être la sonnette d’alarme. Il est étonnant de voir que les premiers messages laissés sur les forums de la Commission (une partie du fameux plan D) n’aient pas été davantage suivis par les 25 lors des derniers Conseils. Etonnant aussi de lire les commentaires d’internautes sur le dernier billet de la Commissaire à la Communication, Margot Wallström: http://weblog.jrc.cec.eu.int/page/wallstrom?entry=turkey qui explique que les citoyens n’ont rien compris à la Turquie et que les Commissaires ont une intelligence et une capacité de discernement (heureusement) supérieure à la moyenne qui justifie le fait de continuer.
Avoir intérêt à collaborer avec son voisin est une chose et l’UE doit collaborer avec la Turquie – celle-ci fait d’ailleurs déjà partie du marché unique – autant qu’avec le Maghreb ou l’Ukraine. Mais nous ne pouvons plus cautionner le mensonge qui consiste à faire croire que l’UE est synonyme de « une adhésion sinon rien » pour les pays voisins. Apparemment les Turcs commencent à le comprendre, pas nos dirigeants européens…
Avant de penser à l’intégration de la Turquie, il faut préalablement redéfinir le projet européen -grand marché ou europe politique ?-, les frontières, puis, ensemble, penser de quelle manière mettre notre avenir en commun. La Turquie est une question qui intervient trop tôt, prématurément -les réformes intérieures n’avancent pas-, est reste hors sujet -elle n’appartient pas au continent européen, mais à l’Asie mineure.
Je n’ai rien compris à ton propos. À force d’abuser de l’ironie au 25e degré, je ne sais même pas si tu y défends la candidature turque, ou si c’est la Turquie qui défend ta candidature… ou l’inverse du contraire.
@KPM: j’avoue, j’ai peut-être dépassé les limites de l’ironie raisonnable. 😀
Cela étant dit, je ne défends pas la candidature de la Turquie… ni l’attitude de l’UE sur ce dossier.
Derrière l’ironie de ce billet, je cherchais à dénoncer une situation ubuesque où, pour la première fois, un pays candidat à l’adhésion semble faire la loi auprès de l’UE. Comme si cette adhésion était un du pour la Turquie alors qu’elle est incapable de reconnaître la seule Chypre. Et malgré cela, l’UE semble se plier en quatre.
Une situation à la fois pathétique et dangereuse je trouve.