8 mai 1945: Après 6 ans de guerre, l’armistice est signé entre la France et l’Allemagne.
22 janvier 1963: De Gaulle et Adenauer scellent la nouvelle amitié franco-allemande avec le traité de l’Elysée qui crée notamment un office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) et accélère le processus de jumelage. Geste fort: les deux hommes se font une accolade.
En 40 ans, le couple franco-allemand se sera beaucoup développé au gré des amitiés présidentielles. D’abord, le couple Schmidt-Giscard sera à l’origine du système monétaire européen. Ensuite, le couple Mitterrand-Kohl mettra en place l’euro et restera gravé à jamais dans notre imaginaire avec cette photo prise à Verdun en 1984 où les deux hommes se tiennent la main devant la tombe du soldat inconnu. Enfin, un président français, Chirac, au côté de Schröder, premier chancelier allemand à être invité aux commémorations du débarquement en Normandie, 60 ans après les faits.
Depuis mercredi, un nouveau symbole, loin de toute communication: l’arrivée d’un manuel d’histoire franco-allemand pour les élèves de terminale retracera l’histoire commune des deux pays depuis 1945. Une première mondiale. Qui en amènera d’autres puisqu’un manuel pour les classes de première (sur la période 1850-1945) et un pour la seconde (sur l’Europe au temps de l’Antiquité et au Moyen-Age) sortiront en 2007 et 2008. A l’heure où la France inaugure plusieurs mémoriaux pour commémorer le 91ème anniversaire du génocide arménien, dénié par les manuels d’histoire turcs, on voit la portée hautement symbolique de cet acte. Il n’y aura désormais plus de vision française et allemande de la 2ème guerre mondiale. Un fou autrichien s’est emparé de l’Allemagne puis de l’Europe. Une partie de la France a collaboré. Une partie de l’Allemagne a aussi agi contre la dictature. Les choses ont tellement été simplistes pendant des décennies. Côté français: « les Allemands étaient les méchants, les Français les gentils »; côté allemand: un sentiment de honte et un mea culpa permanent y compris chez les jeunes générations. La France et l’Allemagne n’oublient pas le passé et agissent pour l’avenir de l’Europe.
Pourtant, ce symbole ne saurait masquer un étrange paradoxe. Le couple franco-allemand peut être sacralisé et célébré. La connaissance du pays voisin et de sa langue est de plus en plus rare. Les exemples ne manquent pas. Ni Chirac ni Schröder ne parlent la langue de l’autre. Arte, dont la naissance et le fonctionnement en soi, sont un succès technique et intellectuel, n’attire toujours pas les foules, 10 ans après sa création.
Par ailleurs, même si cet acte est un premier pas positif vers une vision de l’histoire globale et dans la lutte contre les clichés, il ne saurait complètement régler le manque de connaissance et d’intérêt mutuel. Les régimes « bière-choucroute » et « vin-baguette » ont encore de belles années devant eux!
Surtout, un autre geste symbolique fait encore défaut en France: la suppression du 8 mai. Pourquoi et comment peut-on encore fêter la victoire de l’un et la défaite de l’autre? Jusqu’à quand allons nous tolérer cela? A partir du moment où l’un et l’autre reconnaissent leurs erreurs et envisagent un avenir de paix et de prospérité, quelle légitimité reste-t-il à cette « fête » du 8 mai? Alors que le gouvernement français supprimait récemment la Pentecôte pour finalement, un peu plus tard, instituer (à juste titre) un nouveau jour férié pour célébrer la fin de la traite négrière, pourquoi ne pas débattre pleinement de ce jour férié dont la valeur est davantage « RTT-ienne » que symbolique. Il est temps de proposer la suppression du 8 mai et de le remplacer par une date qui marque l’espoir, comme ce 22 janvier 1963 ou ce 9 mai 1950 où Schuman a appelé à créer une communauté européenne.
Un premier pas allant dans le bon sens vient d’être réalisé. C’est l’éducation et pas le marketing qui font les mentalités. Une leçon pleine d’enseignement pour la Commission Européenne qui devrait privilégier cette voie plutôt que de distribuer encore plus de brochures dans ses bureaux nationaux. Et demain? Pourquoi pas imaginer des manuels entièrement ou partiellement réalisés par plusieurs pays européens? L’histoire du XXème siècle des Italiens, des Polonais, des Anglais et de bien d’autres est la nôtre. L’ouverture sur l’Europe doit se faire dès le plus jeune âge, à l’école. Si les parents ne peuvent offrir une fenêtre sur l’Europe, c’est à l’école de le faire. L’Europe se cherche des projets, elle vient là de poser une première pierre.
En Allemagne, il existe en novembre un jour chômé, le Buss- und Bettag, la journée nationale de la pénitence et de la prière, en souvenir de l’holocauste.
L’Europe, du Vatican aux Pays Baltes, de Moscou à Dublin connaît une honte commune qu’il ne faut jamais enterrer.
Il serait digne, que toute l’Europe trouve au même moment une fête où elle se recueille dans l’humilité pour les malheurs et la désolation qu’elle a fait subir à ses populations ou aux populations colonisées. De l’humilité sort le rayonnement et la joie partagée. Freude, schöne Götterfunken… (IXème de LvB)
Intéressant ton article ! Il est vrai que l’école peut jouer un rôle central dans l’évolution des mentalités : connaître l’histoire afin de (mieux) comprendre ses voisins mais aussi soi-même. En tout cas, ce manuel franco-allemand est une belle initiative qui devrait apporter plus d’objectivité : les allemands n’étaient pas tous nazis, les français n’étaient pas tous résistants. C’est plus complexe que cela.
Autre point : je pense que les jeunes d’aujourd’hui (dont je fais partie) ont véritablement l’occasion de « vivre » l’Europe, que ce soit, par exemple, à travers la monnaie unique ou les échanges universitaires.
Vous avez raison Julien, les djeun’z ont véritablement l’occasion de… vivre l’Europe par la monnaie unique ou les échanges universitaires.
Ma génération a vécu l’Europe comme une continuité (centenaire… depuis 1870 tout au moins) de questionnements et d’échanges culturels, comme une reconquête dans la paix et l’amitié des peuples séparés, le tout pour apprendre à vivre ensemble et à se connaître. Le marché commun n’était qu’une excuse pour réapprendre à s’aimer.
Je pense que nos deux générations vont apprendre en commun à vivre la dimension sociale de l’Europe.
La France devient civilisée.
Elle édite avec l’Allemagne un livre consensuel d’histoire franco-allemand, elle commémore l’abolition de l’esclavagisme dont l’alsacien de Fessenheim, Victor Schoelcher, est l’auteur en 1848, bientôt elle instaurera une journée du souvenir des massacres de Sétif et de Guelma du 8 mai 1945 ou des ratonnades parisiennes de 1961, et elle demandera pardon à l’Algérie et au Vietnam. J’aime de nouveau vivre dans la France. Je reste!
Autrement, la France et l’Allemagne ont aussi ceci de commun que leurs Parlements démocratiquement élus ont voté les pleins pouvoirs à Hitler ou à Pétain, en France sauf 80 députés dont les députés alsaciens…
Rien ne sera possible tant que la charte de Droits fondamentaux ne sera pas opposable a la legislation nationale. Contruisons l Europe par le Bas.
Un manuel d’histoire est toujours écrit avec la sémantique d’usage du langage vernaculaire des lecteurs prêts à ouvrir leurs yeux sur telle ou telle chose.
Il faudrait par exemple vérifier la signification du XXIème siècle du mot « Anschluss »: pour l’Autriche, c’est un Anschluss voulu, pour l’Alsace-Moselle c’est un Anschluss subi. Subi par l’Annexion de fait et dans le droit international de l’Alsace-Moselle et par la politique de la France qui s’appelle « Politique de la région perdue« . Il existe des révisionnistes négationnistes.
La revisitation de l’histoire de ce manuel d’histoire montre-t-elle les vérités françaises? Je crois qu’il ne faut pas non plus se rassurer son citoyen égotique en se disant « ils n’étaient pas tous nazis, il n’étaient pas tous pour Pétain« . Le fait qu’une nation permette une instauration d’un régime totalitaire la rend responsable dans son ensemble. Il ne faut donc jamais détourner son attention de la faute commune et ne jamais tergiverser. C’est pourquoi le film « Schindlers Liste » m’avait fâché au plus haut point. Cette mise en scène captieuse ne doit jamais détourner du film Shoah. La vérité est là. Nulle part ailleurs.
Quand on voit qu’il a fallu deux siècles pour commémorer en France les victimes de l’esclavagisme, il faut prendre un énorme recul face à toutes ces entreprises de revisitation de l’Histoire, encore plus quand on veut écrire des lois… qui décrivent les bienfaits du colonialisme comme au Parlement français actuellement. Faites un simple test. Parcourez une encyclopédie d’avant-guerre (de la quelle?) et lisez des entrées sur l’histoire, la géographie, des noms de philosophes, d’écrivains, et même de villes… vous verrez que strictement tout est perçu différemment, voire totalement à l’opposé. C’est comme pour le re-pensement de la question de Heidegger. Nazi, pas nazi? Ses propos nazis doivent-ils être lus à la lumière des propos de son œuvre, ou vice-versa? Plus près de nous: Peter Handke, comment lire Peter Handke maintenant, quand on sait qu’il a tenu une Laudatio à l’enterrement de Milosevic en disant qu’il était « proche des serbes à cette heure« ?. Moi j’étais proche des musulmans du Kosovo trucidés en masse, ce jour là. Et l’Europe n’avait rien fait et avait abandonné le général Rose qui appelait au secours devant un camp de concentration pour l’extermination de musulmans. C’est trop facile de se dire, ils n’étaient pas tous noirs/blancs. Il faut intérioriser jusqu’au plus profond de soi la faute commune que nous avons héritée. Les écarts de langage, déjà de nos hommes de l’état le plus en vue en ce moment sont peut-être des prémices d’un nouveau régime.
Thomas,
je te remercie de faire des commentaires copiés-collés de ton site.
Personnellement, j’ai beaucoup aimé le film « La liste de Schindler » pour ses qualités cinématographiques mais aussi et surtout pour les raisons qui font tu ne l’as pas aimé.
Je ne suis pas d’accord avec ton avis. Ce n’est pas rassurer son égo que de dire “ils n’étaient pas tous nazis, il n’étaient pas tous pour Pétain“. C’est décrire la situation telle qu’elle était:ambigue.
Quand je vois ma grand-mère haïr les Allemands encore aujourd’hui sans esprit critique envers les actes de la France, je me dis qu’il est temps de repenser notre vision de l’Histoire.
En partant de ton principe de généralisation, dira-t-on qu’un pays est con parce qu’il est dirigé par un con? Est ce que les Italiens du temps de Berlusconi étaient tous pourris?
Tant que l’histoire continuera à apprendre aux enfants que la France était la gentille innocente et l’Allemagne la méchante, on continuera à construire l’Europe sur un fond de rancoeur, certes inoffensif, qui peut se matérialiser par exemple par un patriotisme économique où l’Allemand ou l’Italien sont des étrangers.
Tu as cependant raison en affirmant qu’il faut intérioriser jusqu’au plus profond de soi la faute commune. La 2ème guerre mondiale est la faute des Européens en général, et pas de tel ou tel pays. Au final, il n’y a pas eu de gagnant. Et c’est pour cela que je dis que le 8 mai n’a plus sa place dans notre calendrier.
un site a beaucoup traité la question allemande au travers du « cas heidegger » :
Hitler menteur (Heidegger et Mein Kampf) http://www.paris4philo.org/article-10788295.html
Heidegger contre le nazisme : http://www.paris4philo.org/article-10504198.html