Après quelques semaines d’attente, le voici enfin sorti, le dernier projet en ligne destiné à réconcilier les citoyens européens avec « l’Europe ». Nom de code: Mission Impossible Tweetyourmep.eu, alias « Twitte ton eurodéputé ».
Le concept
L’équipe de Touteleurope.eu, à la base du site, est partie du postulat que Twitter est un outil de communication à la fois:
- 1) puissant (On y croise à peu près tout le monde, de Lady Gaga à Barack Obama, du citoyen lambda égaré au communicant avisé)
- 2) simple (On y poste des messages en 140 caractères)
- 3) tendance (Tout le monde en parle)
A partir de là, pourquoi ne pas faire l’intermédiaire entre les citoyens « lambda » et les eurodéputés, directement élus par ces mêmes citoyens. Une démarche somme toute logique. D’un côté, beaucoup de citoyens ont adopté le web comme moyen de communication préféré (il n’y a qu’à voir le succès de MSN, Facebook & co). De l’autre, de plus en plus d’eurodéputés souhaitent partager – par altruisme autant que par opportunisme politique – leur action au quotidien, leurs travaux réalisés au sein et en dehors du parlement européen.
Comment ça marche ?
Très simplement ! Le site recense tous les eurodéputés présents sur Twitter, en les classant par « pays » et par « thème » d’activité (= les commissions de travail du parlement dans lesquels ces députés sont actifs). Il ne vous reste plus qu’à choisir votre chouchou et le questionner via la fenêtre de tweet. Attention, vous devez tout de même posséder un compte Twitter…
Et ensuite ? La page d’accueil du site offre une vue d’ensemble, reprenant l’essentiel des questions-réponses ainsi que les noms des citoyens/eurodéputés les plus engagés.
Jusque là, tout va bien ! D’autant que le site accumule quelques bons points:
- Réel effort fourni au niveau du design
- Site disponible en français, anglais, allemand et néerlandais
- Possibilité de lire et envoyer des tweets dans n’importe quelle langue étrangère, grâce à l’intégration du module de traduction automatique de Google
[daily]xetbgi[/daily]
Malheureusement, tout n’est pas rose en ce bas monde et le projet souffre de deux défauts majeurs, voire rédhibitoires, que je résumerai ci-dessous:
Un outil trop confiné
Beaucoup aimeraient croire et faire croire que Twitter est un outil favorisant la proximité. Non, Twitter est avant tout une plateforme à usage promotionnel composée de communautés passionnées par un même sujet. Et ce n’est pas parce que le fils de Mr Martin et la nièce de Mme Michu se sont déjà inscrits sur Twitter qu’ils seront forcément des utilisateurs engagés. Et quelle sera leur propension à utiliser Twitter pour un jeu de questions-réponses sur l’UE, a fortiori à degré d’activité zéro ?
Las, une fois de plus, ce projet s’adresse aux mêmes personnes : aux professionnels de la sphère européenne, aux eurogeeks post-adolescents et à quelques citoyens engagés plus que la moyenne et conscients des forces et faiblesses du web. Mais tous les initiés n’ont pas attendu ce site « nouveau » pour interpeller les eurodéputés. Soit dit en passant, j’attends toujours mes réponses…
Un engagement trop faible
Autre défaut majeur : l’engagement des eurodéputés : assez fort lors de la campagne électorale de 2009, et depuis ? J’avais alors écrit un billet prémonitoire : « Twitter, Facebook & les blogs à l’heure européenne« . A lire ou relire…
La réalité des chiffres est trompeuse. Combien de députés réellement actifs sur les quelques centaines d’inscrits ? Assez peu finalement. Combien de députés qui twittent en personne, sans déléguer à un nègre ? Et qui peut me garantir que j’obtiendrai une réponse si j’interpelle tel ou telle député(e) ?
A l’heure où j’écris ces lignes, le constat est peu encourageant. D’un côté, une poignée d’eurodéputés joue vraiment le jeu, de l’autre, on retrouve quelques forçats du web européen en pleine séance de propagande personnelle, martelant un seul et même message à l’infini (et au delà).
Le plus drôle dans cette histoire est la vidéo de présentation (cf. ci-dessus). J’ai été rassuré de revoir le premier interviewé, Graham Watson, vanter la twittocratie. Moi qui le croyais virtuellement mort depuis le 7 juillet 2009. C’est sans doute l’effet nouveauté, Graham vient de retwitter cette semaine après 14 mois de coma. Ouf, la démocratie remarche !
La question finale, celle qui fâche : pourquoi l’essentiel de ces eurodéputés qui n’ont pas encore franchi le pas ou déjà laissé tomber l’affaire au lendemain de leur élection s’y remettraient pour de bon ?
Conclusion
Tweetyourmep est une belle vaine tentative pour faire avancer le dialogue entre citoyens et politiques européens. On peut néanmoins saluer l’initiative de Touteleurope et Europatweets qui, avec peu de moyens, ont obtenu un certain résultat.
Cela étant dit, on est bien loin du compte, et j’ai bien peur que le compte n’y soit jamais… Par curiosité, j’ai interrogé une amie, citoyenne européenne lambda: « que penses-tu de l’idée de twitter un eurodéputé? » La réponse est sans appel : « Si c’est pour faire de la pub, ça marchera. Si c’est pour intéresser le public lambda, c’est voué à l’échec ».
Espérons que cette amie et moi-même ayons tort.
Je pensais que c’était la femme de Graham qui gérait son twitter… ^^
Merci Ced pour ton billet sans complaisance relevant défauts et qualités du projet.
Je me permets quelques remarques :
– avec ce site, le citoyen n’est plus dans la position de devoir s’inscrire sur twitter et en suite de chercher son eurodéputé sur twitter (s’il connaît son nom). La problématique est inversée ici. Bon cela ne résout pas tous les problèmes, nous sommes bien d’accord.
– la poignée d’eurodéputés qui ont un compte twitter et qui twittent « réellement » (comme Sandrine Bélier ou NKM) est petite, mais si l’assistant répond au nom de son eurodéputé, c’est du pareil au même puisque la personne qui aura une réponse en aura une « officielle ». Sylvie Guillaume a d’ailleurs répondu à ça sur Tweet your Mep en disant qu’elle twittait sur son compte personnellement en plus de ses assistantes. Et puis les assistants au Parlement européen sont beaucoup plus importants qu’en France, il ne faut pas l’oublier. C’est la même chose pour les mails.
– ce n’est pas un projet tourné vers les geeks. La preuve en est que même des non-geeks (sans compte twitter à la base) ont posté des questions. Ce qui en attendent le plus en revanche…
Espérons que le projet marchera et que les « MEP » sauront s’en emparer. On ne peut pas remplacer les acteurs (MEP et citoyens) mais on peut essayer d’améliorer le plus possible les outils qu’ils peuvent utiliser.
En tous les cas, plusieurs eurodéputés ont ouvert un compte quand d’autres en ont fait la publicité sur leurs différents réseaux sociaux trouvant l’idée très bonne. Un bon début, non ?
@Antoine: C’est exact, elle est aussi inclue dans la catégorie « nègres »…
@Fabien: C’est vrai, le citoyen n’a plus besoin de chercher longtemps pour trouver son eurodéputé, mais il doit encore se créer un compte twitter au préalable…
Concernant le nègre, pourquoi pas laisser l’assistant faire le job, à la rigueur – même si je ne suis pas fan – mais quand tu vois Graham Watson vanter Twitter alors que c’est sa femme qui fait le boulot, je trouve cela assez cocasse! N’oublie pas non plus que certains assistants ont aussi un simple rôle de secrétaire intendant. Leur influence est fort variable en fonction des députés…
Dernier point: ouvrir un compte Twitter ou faire la promotion de tweetyourmep sur Facebook n’engage à rien sur le long terme! Comme dit dans ce billet, relis mon article de l’année passée, au moment des élections, où j’émettais de sérieux doutes sur l’authenticité et la pérennité de la démarche de certains eurodéputés. Deux exemples français au hasard: Barnier et Cohn-Bendit. Regarde où sont leurs blogs et Twitter aujourd’hui. Je crois, tout comme toi, à la sincérité des quelques noms que tu cites, malheureusement si l’on n’atteint pas rapidement une masse critique de MEPs qui jouent le jeu, le site risque de s’enfoncer dans un mode « beta version » et de ne pas percer. C’est un risque fort malheureusement.
@Cédric: c’est évidemment un pari que de faire un tel site, nous ne pouvons pas « faire » à la place des citoyens et des eurodéputés. En tous les cas, le site est lancé désormais et nous avons reçu un écho vraiment favorable des MEP’s globalement.
Sur les ghostwriters, aucun « petit » assistant-stagiaire ne twitte à la place d’un eurodéputé alors que cela l’engage officiellement. Tous les assistants que j’ai eus au téléphone qui s’occupent (souvent de manière partagée) du compte twitter de leur eurodéputé me parlaient de leur peur de malfaire et de mettre leur eurodéputé dans l’embarras. Après quelques semaines d’utilisation du service, cette peur a souvent disparu et c’est tant mieux : les citoyens auxquels ils répondent auront donc une vraie réponse officielle.
Fabien, tu dois bien t’en douter, l’objet de ce billet n’est pas de descendre Tweetyourmep, mais d’apporter un regard critique que je n’ai lu sur aucun média en ligne/blog jusqu’à présent…
Clairement, mieux vaut prendre le risque de tenter quelque chose que de rester les bras croisés. Cela étant dit et c’est certainement une déformation professionnelle, avant de foncer tête baissée, je m’interroge toujours sur le rendement d’un projet. Dans le cas présent, une fois passée la campagne de relations publiques pour le lancement, je doute du rendement à terme. Mais bon, comme dit, j’espère me tromper.