Personne n’a pu échapper à la tragique nouvelle survenue le week-end passé, samedi 10 avril 2010, à Smolensk, en Russie: Lech Kaczyński, le président de la république de Pologne, ainsi que l’essentiel des hauts dirigeants du pays – notamment le chef d’état-major des armées polonaises, le vice-ministre des Affaires étrangères, le vice-ministre de la défense, le gouverneur de la banque centrale de Pologne, les deux vices-présidents des chambres parlementaires, le chef de file de l’opposition, etc. (cf. liste complète) – ont péri dans un accident d’avion en Russie alors qu’ils se rendaient à Katyń pour y commémorer le 70ème anniversaire des tristement célèbres massacre de milliers de polonais opposants au régime soviétique. Un triste événement qui s’ajoute, si besoin en était, à une histoire polonaise suffisamment riche en épreuves. Par solidarité européenne et a fortiori pour connaître un peu la Pologne, je n’ai pu m’empêcher d’avoir une pensée pour un peuple qui ne méritait pas cela.
Cela étant dit, il faut savoir faire le deuil et poser les questions qui s’imposent : était-il vraiment judicieux de placer autant de personnalités importantes dans un même avion, par ailleurs réputé peu fiable ? Imaginerait-on le président américain et son vice-président voler ensemble ? Ou encore le président français et son ministre de la défense ? Je n’ai pas de réponse définitive, mais j’en doute…
Le sort est parfois cruel. Dire que feu le président Kaczynski se rendait presque en ami dans l’ancien pays ennemi, la Russie, pour cicatriser une plaie vieille de plusieurs décennies. La mort impose un devoir de réserve. Mais il ne faudrait pas non plus tomber dans le déni, voire dans l’idolâtrie générée sous le coup de l’émotion. C’est pourtant le sentiment qui semble dominer ces jours-ci dans les médias autant que dans la blogosphère européenne.
Ce soir, je me consolerai en me disant que Lech Kaczyński aura bien mérité le repos éternel. Lui qui commença sa carrière enfant comme acteur auprès de son frère Jaroslaw dans le film « Histoire de deux enfants qui volèrent la Lune ». Lech aurait pu persévérer dans cette voie et tourner dans « Germinal », il préférera prendre part au mouvement Solidarność auprès de Lech Walesa avant de lâcher son ami quelques années plus tard pour divergence d’opinion. Lech aurait ensuite pu se contenter d’un rôle dans « Primary Colors », il préférera adopter les couleurs bleu et rouge de son parti Droit et Justice auto-proclamé intègre et patriote. On se souviendra de l’oeuvre de Lech, fricotant sans vergogne avec les partis populistes de Pologne adeptes des discours nationalistes et xénophobes. On se souviendra aussi de ses discours, en particulier sociaux – tantôt anti-avortement, tantôt anti-homosexuels – et politiques – souvent méfiants, parfois même haineux vis à vis de l’Allemagne, de la Russie et surtout de l’Europe. Mais son plus grand rôle aurait pu s’intituler « L’emmerdeur ». Fort en caractère, pourvu d’un courage unique, on se souviendra encore longtemps de ses coups d’éclat : notamment de son obsessionnelle chasse aux sorcières au travers d’un projet de loi visant à dénoncer publier les noms des anciens agents communistes, dont certains encore en activité. On se rappellera aussi et surtout longtemps son indécrottable rage anti-européenne surtout lorsqu’il s’en est agi de défendre bec et ongles l’ignoble traité de Nice et de tout faire pour bloquer l’entrée en vigueur du traité constitutionnel européen de Lisbonne.
Lech Kaczyński aurait peut-être fait un meilleur acteur qu’un homme politique… Il aura en tout cas bien envenimé la politique polonaise et européenne. Pour couronner cette oeuvre d’une vie, Kaczyński aura même ainsi droit aux honneurs d’un enterrement cinq étoiles dans la cathédrale de Wawel auprès des rois de Pologne. Rien que ça ! Jules Renard disait : « Rien ne sert de mourir, il faut mourir à point. » Il faut croire que le moment était venu, paix à ton âme Lech !
La Pologne a peut-être perdu sa tête, mais certainement pas son visage. Gageons à court terme que cette épreuve ouvre les yeux de nombreux Européens de l’ouest qui méprisent ce pays par ignorance. La Pologne est un grand pays qui saura rebondir comme elle a su le faire par le passé. Espérons que ce rebond sera rapide et l’amènera là où elle doit être : au cœur de l’Europe et non plus englué dans une malsaine idéologie nationaliste empreinte de nostalgie, telle que celle laissée par feu Kaczyński.
Article très intéressant. 2 choses sur lesquelles je voudrais rebondir:
– Les massacres de Katyn ne sont malheureusement pas tristement célèbres, peu de gens sont au courant dans le monde de cet abominable crime des élites polonaises. Sa mort aura permis au moins de révéler au monde ces atrocités. Mais quelle ironie de l’histoire, 70 ans plus tard,les élites polonaises meurent à nouveau dans une foret russe…
– Effectivement, je suis d’accord avec toi que peut être on en fait trop par rapport à la vraie valeur de l’homme et du politicien. Qu’il repose avec les rois et poetes de Pologne est peut être démesuré, car evidemment comme tu l’expliques ces positions anti-europe, avortement et homosexuel ne faisait pas de lui un homme « moderne ». Mais je pense que c’est aussi pour ca que les polonais avaient de l’affection pour lui car il défendait une certaine tradition de la Pologne, chrétienne, indépendante.
Bref, cet évènement tragique (et je suis aussi d’accord sur le fait qu’autant de personnages clefs de l’état n’auraient pas du se trouver dans le meme avion), permet en tout cas de resserrer les liens d’un peuple, de l’unifier. Moi qui suis en Pologne en ce moment, je vois depuis ce week end les drapeaux à toutes les fenetres!! Mais la Pologne se relèvera à n’en pas douter!
Une petite question pour l’européen que tu es: j’ai beaucoup de sympathie pour l’actuel premier ministre Donald Tusk. Que penses-tu de lui?
Je partage la même sympathie que toi pour Tusk, bien moins archaïque et bien plus ouvert sur l’Europe que feu Kaczynski. Les sondages donnent d’ailleurs son parti gagnant aux prochaines élections… On verra si Jaroslaw, le jumeau du défunt président et ex-premier ministre, parvient à grappiller quelques points de sympathie sur la mort de son frère. J’aurais tendance à dire que non. On verra dans quelques semaines…