Le "plan S" de Bruxelles

Chirac au Conseil Européen - 24 mars 2006On ne parle déjà plus des phantomatiques plans B et C franco-français. Au lendemain des NON français et néerlandais, la Commission Européenne a tranché le problème avec le lancement en grande pompe d’un plan D comme « dialogue », « démocratie »…

Le programme de communication était bien parti. Un TCE mis provisoirement (?) au placard, une pluie de déclarations de bonne forme sur l’UE depuis le 29 mai. Une Commission « open » et un Jacques Chirac conquérant comme un A380: tel était le visage d’une Europe qui ne voulait plus voir l’échec en face. Une bonne politique marketing doit pourtant se baser sur un produit avec des qualités tangibles et une communication impeccable.

Car c’est vite oublier le mélodrame turc, en octobre dernier, où l’on peut encore s’étonner de la maigre transparence et de l’inexistence de dialogue entre le peuple européen et la Commission. C’est vite oublier le budget britannique « au rabais » pour la période 2007-2013 dénoncé par les eurodéputés.

Heureusement, même quand la Politique ne va plus, le business marche encore et l’on peut toujours compter sur « le » pilier de l’UE: l’économie et le marché unique. Jusqu’à cette semaine en tout cas…
Car la crise tant annoncée perdure et le plan « D » semble de plus en plus improbable. Le gouvernement français pensant que patriotisme rime avec « je suis français, pas européen » au point de chaperonner la fusion entre deux entreprises privées, Suez et GDF, pour contrer une OPA de l’électricien italien Enel sur Suez. L’Espagne n’est pas en reste puisqu’elle vient de voter une loi pour empêcher le rachat d’Endesa par l’Allemand E-On.

Tandis que Berlusconi s’époumonnait contre la France ces derniers jours et exigeait une mise au point au moment du Conseil européen, il conclura le week-end, faute de soutien, par un: « Je ne me souviens pas d’un sommet qui ait été aussi harmonieux que celui d’aujourd’hui ».
A dire vrai, hormis Jacques Chirac boycottant le discours en anglais de Mr Seillière, le désormais patron des patrons européens, l’UE aura accumulé les belles déclarations vides de projets. Depuis mai 2005, les meetings se suivent et se ressemblent et l’on pourrait se demander si Bruxelles n’a pas échangé son plan D contre un nouveau « plan S » synonyme de « Schweigen » en allemand, de « Silence » en anglais et en français. Silence, on tourne. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Pourtant la communication, par définition proactive, masque ici une UE en panne, notamment sur l’épineux sujet de l’énergie. Que penser de Jacques Chirac vantant comme toujours la bonne entente franco-allemande alors que la France est pleinement engagée dans le nucléaire et que l’Allemagne a initié depuis quelques années sa dénucléarisation? Quid des Etats baltes qui regrettent la construction prochaine d’un gazoduc germano-russe qui les contournera en passant sous la mer?
Malgré cela, tout n’est pas aussi noir. Si l’Europe de l’énergie ne se fait pas en France ou en Espagne, elle existe déjà dans d’autres pays. Et la France n’est pas la plus mal lottie au jeu des fournisseurs. « Au 10 Downing Street, l’électricité est fournie par une entreprise française, l’eau par une allemande, pour le gaz, il y a le choix entre quatre groupes, dont trois étrangers, et cela ne pose pas de problème », dixit Tony Blair.

Finalement, le sommet n’aura eu de croustillant que la bouderie de notre Président. Celui-ci, au lieu de se vanter que 45% du CAC 40 est détenu par des capitaux étrangers, dont les célèbres fonds de pension américains, aurait mieux fait de revendiquer sans vergogne un patriotisme économique où la patrie n’est pas la France mais l’Europe. Malheureusement, on ne s’improvise pas Européen. Dans ces conditions, difficile de se vendre à son peuple comme tel; mission de plus en plus impossible quant à dialoguer avec les citoyens sur une Europe où rien ne va plus.

4 réflexions sur « Le "plan S" de Bruxelles »

  1. L’auto-prophétie réalisatrice — je dis que tout va bien, alors tout va bien — ne marche que si les acteurs font bloc et ont les moyens de leurs ambitions. Et au lieu de jouer collectif, chaque pays joue personnel. L’intervention des Etats pour protéger les entreprises nationales du secteur énergétique est révélatrice de ce phénomène.

  2. Julien, c’est toujoiurs très « in » d’aider par pensée, action et ——-ion à l’ouverture du marché de l’énergie, de l’eau, des services, et maintenant du « 12 ». Mais dans tous les pays, nos si beaux exemples qui s’avancent comme étant les nouveaux paradigmes, on voit qu’à court terme, la Marktbereinigung, le nettoyage par le marché, fait sont effet, que les providers se raréfient, qu’ils se partagent le marché et que les prix montent., les trains déraillent chaque semaine en UK, les courant électrique tombe en pas en Californie ou il est tout simplement coupé aux heures de pointe aux USA, les hopitaux publics n’investissent plus, le système scolaire pourrit et tout ceci est laissé à ceux qui peuvent s’en payer un meilleur. Je ne sais pas si la querelle des anciens et des modernes n’est pas inversée, et que ceux qui prônent « l’ouverture » (aux capitaux) ne sont pas ceux-qui retournent à la préhistoire. En tous cas je me sens très moderne, je suis un enfant de la république et je suis content d’avoir été élevé dans l’esprit du service. Merci maman.

  3. Vaste débat que celui des libéralisations en Europe, qui tourne rapidement à la caricature et aux clivages politiques, surtout en France d’ailleurs: Soit on pense que l’Etat doit tout faire, soit on pense que l’Etat ne doit plus rien faire.

    Thomas, tu as raison de souligner les travers du libéralisme avec le pire exemple qui soit: les chemins de fer britanniques. Auparavant, il y avait une entreprise nationale unique. On a cassé ce monopole d’état pour recréer des monopoles privés régionaux. Bilan: prix tout aussi chers, voire plus, et suppresion de trains dans les endroits reculés! Pis, comme on tombe dans le travers de la rentabilité à tout prix, certaines compagnies pensent que moins entretenir les voies ne changera pas grand chose et l’on arrive à voir retards et accidents en chaîne. Là, ça devient très grave.

    Pour autant, il serait malhonnête de ne souligner que le négatif. Personnellement, je ne me plaindrai pas d’avoir le choix entre Air France ou d’autres compagnies aériennes pour payer mon billet moins cher sans pour autant renoncer à la sécurité. Je ne me plaindrai pas non plus de pouvoir choisir mon fournisseur de téléphonie-internet. Car ceux qui se plaignent des libéralisations ne sont pas forcément les derniers à avoir quitté France Telecom pour faire baisser leur facture ou voyager en low cost…

    Aucun système n’est parfait, mais avec un peu de bon sens on peut arriver à un équilibre.

  4. Tu as tout juste, Cédric, avec un peu de bon sens… Mais l’état, sur tout l’arc-en-terre politique, est trop content de se faire de l’argent en vendant les bijoux de famille, nos bijoux, notre capital social, qu’il a recapitalisé avec l’argent des contribuables. Et après on laisse un système hospitalier exangue, des soins à deux vitesses, une Poste dont les Colipostiers sont tous des sous-traités externalisés et précarisés qui ne sonnent plus et qui émettent directemnt des avis de passages donnés par les facteurs, une éducation publique à la dérive qui produit à la chaîne une génération de perdus et de malformés, voire de handicapés. C’est vrai, les low-cost sont interessants, mais l’entretien de l’avionique est délocalisée, et les consommateurs de low-costs contribuent à la précarisation des emplois ici et ailleurs. Enfin là je t’ai fait un catalogue poubelle sans effet de style.

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